ishime: (Default)
ishime ([personal profile] ishime) wrote2007-02-24 06:35 pm

Space Wild Travelers - bout de fic

Qu'est-ce que c'est que ce truc ?
Une fiction originale en cours d'écriture avec Sakoni. 

La description de l'univers est déjà postée

Finalement, le plus simple  est de poster le bout de fic que j'ai déjà écrit. ^^U
Il n'a pas de titre, et ce n'est pas l'histoire principale, juste le passé de mon héros. 

 

Ssishane laissa son regard se perdre dans les vapeurs qui s'élevaient au dessus des eaux brûlantes de la Sianaass, qui s'écoulaient d'un bassin à un autre, et sur laquelle elle avait une vue imprenable depuis sa chambre. Comme toutes les habitations de son peuple, cette pièce avait été creusée dans la roche blanche des montagnes, il y avait à présent des siècles. Au débuts de leur histoire, les dragonnes des glaces s'étaient contentées de simples et énormes trous, aux murs irréguliers, couverts d'angles saillants, mais le Premier Art était rapidement apparu, et les creux grossiers étaient petit à petit devenus les magnifiques Dess des montagnes, avec leurs salles rondes, lisses, leur parfaite symétrie dans la disposition des pièces et des couloirs, leurs innombrables statues de cristal et de jade, l'eau omniprésente, le dédale que formaient les canalisations et leurs immenses jardins aquatiques...
Mais Ssishane était trop inquiète pour apprécier cette beauté. Son petit visage rond et délicat, parfaitement conforme aux canons de sa race, était parcouru de tics nerveux. Elle ne sentait pas non plus les pointes de ses cheveux caresser ses épaules. Dans sa main droite posée sur son ventre, elle tenait son unique mèche longue, enroulant et déroulant tour à tour la longue bande de tissu écarlate qui emprisonnait ses fins cheveux noirs. Sa lèvre inférieure devenait presque violette, à force d'être mordillée, et jamais sa peau n'avait été aussi pâle.

L'étranger avec lequel elle s'était accouplée dix mois plus tôt s'était rengorgé d'avoir pour amante une guerrière des glaces, et de la voir se soumettre à lui. Elle s'étonnait du statut que les Initiées avaient décidé d'accorder à de tels individus. N'étaient-ils pas plus ignares que les Ignorantes elles-mêmes ? Ssishane n'était pas une guerrière. Elle avait échoué devant la Grande Épreuve, qui déterminait le statut d'une dragonne pour le restant de sa vie. Elle était une Ignorante, un esprit de lézard dans un corps de dragonne ; elle ne possédait pas d'honneur et ne pouvait donc prétendre à aucun des titres d'Initiées. Mais si les Ignorantes étaient dépourvues d'honneur, elles ne pouvaient connaître le poids de la honte. Elles pouvaient également acquérir la sagesse et la respectabilité. Ni les statuts, ni les titres n'étaient héréditaires, un échec à l'épreuve de l'honneur n'empêchait pas de s'élever d'une autre manière. Telle était la société des dragonnes des glaces.

Ssishane trouvait presque insupportable la prétention des étrangers avec lesquels elle avait du frayer ; insupportables aussi leurs idées préconçues sur sa race, et leur indignation hypocrite devant l'inégalité qui régissait sa vie comme celles de toutes ses congénères. L'égalité n'était qu'un mot, nul besoin d'être Initiée pour comprendre cela. Elle était fière d'appartenir à une race qui affrontait cette vérité sans détours. De plus, le statut d'Ignorante n'était pas une souffrance dans une société qui permettait différentes formes d'élévation. Une Ignorante devait respect et obéissance à une Initiée, mais il existait des domaines auxquels les Initiées ne connaissaient rien, ou peu s'en fallait. Chez les dragonnes des glaces, il existait des titres d'Initiées, des titres mixtes et des titres d'Ignorantes, et chacun de ses titres possédait une valeur indéniable. La pratique des Arts n'était pas liée à l'honneur ; la guerre, la médecine et la politique étaient affaires d'Initiées ; la religion était chose d'Ignorantes. La répartition pouvait paraître inégale, mais les prêtresses remplissaient bien d'autres fonctions que la simple prière. Les Initiées décidaient de punir tel ou tel individu pour tel ou tel crime, mais le châtiment approprié était choisi par des prêtresses, et exécuté par d'autres prêtresses. Les Ignorantes ne connaissaient pas grand chose à l'histoire et rien à la médecine du corps, mais les soins de soi et la médecine de l'âme était sciences de prêtresses.

Ssishane avait contracté une importante dette envers Misseh, la régnante du Dess de la Sianaass, qui l'avait accueillie sur ses terres après l'avoir sauvée alors qu'elle errait, seule, sans vivres ni vêtements adaptés, dans les montagnes environnantes. Selon les codes de ses paires, cette dette se devait d'être remboursée quand Misseh le désirait, comme elle l'entendait. Misseh lui avait ordonné de s'accoupler avec des étrangers et d'offrir ses enfants au Dess, et Ssishane s'était exécutée sans poser de questions.

Mais sa tâche s'était vite révélée plus ingrate et dégradante que tout ce à quoi elle s'était attendue. Chacune de ses neuf grossesses s'était avérée une humiliation cuisante. Parmi ses huit premiers enfants, cinq avaient été des mâles. Des restes d'un passé révolu, où les dragonnes ignoraient tout de la technologie et du raffinement. Des petites choses affreuses, indignes même de l'air qu'elles respiraient, ramenant de leur passage outre-tombe de hideuses difformités. L'un d'eux était mort en quelques minutes, et Misseh avait rapidement fait éliminer les autres, qui de toute façon n'auraient pas survécu bien longtemps.
Il n'y avait là aucune méchanceté. Les laisser tenter de vivre, laids ou malformés comme ils l'étaient, n'aurait-il pas été bien plus cruel ? Leur mort ne posait aucun problème à Ssishane, qui aurait simplement souhaité qu'elle et sa chambre, où avaient eu lieu les accouchements, eussent été purifiées par une prêtresse de l'ordre de la Sihiisss'hanassa, la Divine Symétrie. Malgré tous ses efforts, elle n'avait pu se débarrasser de la honte qui l'envahissait en regardant son ventre. Elle avait mis bas non seulement un, mais des monstres !
Le plus pénible et douloureux pour elle avait certainement été que Misseh n'avait accordé aucune attention aux filles auxquelles elle avait donné naissance. Ainsi, même ses enfants sains étaient incapables de répondre aux attentes de la Régnante ! Dès l'instant où Misseh avait appris qu'ils s'agissait de femelles, elle les avait fait envoyer dans les jardins des vierges, où elles allaient être éduquées par les Soeurs Aînées, les Immatures les plus âgées, qui s'occupaient des enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent leur troisième année. Seules les tares qu'elle avait portées avaient paru retenir son attention, jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive de leur laideur, évidemment.

Il y avait longtemps qu'elle avait compris pourquoi Misseh lui avait demandé de lui offrir des enfants, elle plutôt qu'une autre : si la Régnante était une guerrière accomplie et une dirigeante d'expérience, elle n'était pas à proprement parler une beauté. Bien sûr, personne dans son Dess n'aurait osé lui en faire la remarque, mais son corps manquait des arrondis délicats qui faisaient tout l'attrait des plus belles dragonnes, et la forme de ses écailles était très éloignée de l'ovale régulier de celles de Ssishane, leur absence d'éclat ajoutant encore à leur imperfection. Ses colères étaient redoutées de toutes, mais elle ne pouvait empêcher certaines de ses paires de s'indigner de sa laideur, et de prétendre qu'elle porterait malheur au Dess.
Selon les codes officiels des dragonnes, l'esthétique n'était pas requise des Régnantes. Cependant, Misseh, fine politicienne, ne pouvait ignorer qu'à la première erreur, on donnerait raison à ses détractrices, si mesquins que fussent leurs arguments. Elle avait donc entrepris de faire porter une héritière par une Ignorante au physique plus avantageux.

Quand pour la sixième fois, Ssishane avait vu une monstruosité jaillir de ses entrailles, elle avait été prise d'une nausée si violente qu'elle avait titubé et était tombée à genoux, avant de vomir bruyamment. Un mâle, une infamie de plus... Et lorsqu'elle avait voulu le saisir pour mettre fin à cette ignominie, les contractions avaient repris. Hébétée, elle s'était accroupie, regardant presque sans y croire un second bébé sortir de son ventre. Des jumeaux. Deux enfants parfaitement identiques, jusque dans la tare qui les caractérisait.
Il y avait dans ce dernier coup du sort contre elle une ironie cruelle. Dans la société des guerrières des glaces, où la symétrie jouissait du statut de perfection esthétique et morale, les jumelles étaient d'ordinaire considérées comme bénies par la nature, protégées des esprits. Les choses qui pleuraient dans cette pièce étaient à n'en pas douter marquées par l'un d'eux... Oui, marquées par un esprit malin, désireux de souiller la divine pureté des miroirs...

Elle se tourna vers les deux petits êtres qui se tortillaient sur le sol, tentant sans grand succès de déployer leurs ailes recroquevillées pour déchirer les restes de placenta. Après l'accouchement, les mères devaient aider les nouveaux-nés à se débarrasser de cette membrane inutile, qui gênait leur respiration en les empêchant de quitter leur position foetale. Ssishane n'aurait pu se résoudre à toucher ces deux monstres, même si sa vie en avait dépendu.
Elle posa sur son ventre un regard bouffi de haine et de dégoût. Elle avait été faible, faible de coeur et d'esprit, s'était perdue en hésitations absurdes. Elle aurait dû faire purifier ses entrailles dès la première naissance... Dès la première abomination. Certaines erreurs sont irréparables ; ce ne serait probablement plus d'aucune utilité à présent. Mais elle allait s'assurer que jamais plus aucune monstruosité ne sortirait de ce ventre ; pour cela au moins il n'était pas trop tard.

Elle se releva péniblement. Le sol de marbre semblait tanguer à ses pieds, dans son crâne résonnait déjà un début de migraine ; elle secoua la tête avec détermination. La pointe osseuse de sa queue se cala dans sa paume droite presque sans bruit. Elle resserra sa prise dessus, la pointa sur son nombril et prit une profonde inspiration. Toujours, même quand toutes les autres voies étaient obstruées, devait demeurer l'échappatoire de la mort. Elle n'était qu'une Ignorante, aussi ne put-elle retenir une cri quand le tranchant d'os répandit ses viscères sur le sol.